FACE A L'ART NON FIGURATIF
"On ne saurait croire combien il est malaisé de camper une figure seule sur une toile et de concentrer sur cette seule et unique figure tout l'intérêt, sans qu'elle cesse d'être vivante et pleine." (Edouard Manet)
Ce portrait est très probablement celui de Denise Vaudoyer, fille de Marianne Vaudoyer (1880-1968) et nièce de Jean-Louis Vaudoyer (1883-1963), historien d'art et écrivain (Académie Française).
Ce grand portrait de la soeur du peintre, oeuvre de jeunesse, fut exécuté en appartement. Le décors du fond est imaginé, chose rare, pour ne pas dire unique dans l'oeuvre du peintre qui peignait toujours "sur le motif". Cette photo de mauvaise qualité est la seule que je possède, et j'ignore où se trouve actuellement le tableau. Il resta longtemps exposé dans l'atelier de la rue des Bourdonnais. Léon Gard s'en sépara peu de temps avant sa mort par nécessité.
Un répertoire tenu par le peintre mentionne à la date de 1932 un portrait de Georges Renand (ex-président de la fondation Cognac-Jay, directeur des anciens grands magasins de la Samaritaine, et grand collectionneur de peintures) dans un format de 73 X 60 cm. Toutefois, la physionomie du personnage ci-contre laisse un doute pour l'identifier avec Georges Renand si on la compare avec le portrait de ce dernier peint en 1943, lequel est indubitablement de lui (voir plus loin Portraits 2)
Léon Gard sait passer d'une technique rude au couteau, avec de vigoureux empâtements, une touche un peu "ivre", des masses de couleurs vibrantes, à une facture d'une grande douceur, où le pinceau se fait léger pour exprimer les raffinements de tons d'un visage exquis.
La nature offre à la fois toutes les sortes de phénomènes visuels alors que l’art n’en peut exprimer que d’une sorte dans une même œuvre. Des aspects qui, dans la nature, sont confondus, s’excluent, en effet, dans une œuvre d’art. Par exemple, la pureté de ligne, le « fini » et le « lumineux » se trouvent dans la nature en même temps et l’un dans l’autre : il serait donc exact de peindre « fini » et « lumineux ». Or, dans la peinture, l’expérience prouve qu’on ne peut obtenir à la fois l’un et l’autre, il faut choisir. « La finesse exclut la touche », écrivait Baudelaire. « L’amour de l’air, écrivait-il encore, veut l’usage des lignes noyées et flottantes ». Les phénomènes lumineux, intenses, le clair-obscur, les vibrations colorées, ne s’expriment que faiblement par la manière très « finie », car ils exigent des effets d’opposition et d’enveloppement qui, ne produisant leur résultat qu’à une certaine distance, détruisent nécessairement la netteté et le charme du détail. Van Eyck, Boticelli, Cranach, Holbein, peignent très « fini », recherchent une ligne très pure : ils sont peu luministes. Rembrandt, Goya, Turner, les Impressionnistes sont luministes : leur peinture est peu « finie », peu soucieuse de pureté linéaire. Tous, sous des angles différents, sont exacts. Non seulement ils sont exacts, mais c’est parce qu’ils sont exacts, mais c’est parce qu’ils le sont merveilleusement qu’ils ont du génie. Ainsi, sans cesser d’être exact, chaque artiste peut exprimer un aspect des choses qu’aucun artiste n’a exprimé avant lui : « Les auteurs les plus originaux, dit Goethe, ne sont pas ceux qui apportent du nouveau, mais ceux qui savent dire des choses connues comme si elles n’avaient jamais été dites avant eux. » (Léon Gard)
Lucien Daudet disait avec une noblesse pleine d' humilité : « Je suis le fils d’un homme dont la célébrité et le talent comptent pour plusieurs générations, je reste sous son ombre », et, en parlant de Whistler dont il fut l'éleve : « Il m’a donné un certain goût en peinture, mais m’a donné en même temps un très grand mépris pour ce qui n’est pas de premier ordre... et j’applique ce mépris à ce que je fais. »
Lettre de Lucien Daudet adressée à Léon Gard faisant allusion aux séances de pose pour son portrait exécuté à Paris dans le studio de Léon Gard au 57 quai des Grands-Augustins. Cette lettre témoigne aussi de l'amitié qu'il avait nouée avec le peintre, ainsi que de la maladie qui l'emportera quatre ans plus tard.
« Mon cher ami, votre lettre me fait un grand plaisir. Nous parlerons de votre bibliothèque et, de même que nos conversations étaient (je le sentais) les derniers battements de l’horloge —dans quel état étais-je, grand Dieu, lors des dernières séances !— ce sera très gentil de recommencer les premières conversations de la convalescence dans le joli studio. Bien amicalement à vous. Lucien Daudet. »
Ce portrait de Sacha Guitry fut peint dans l'hotel particulier de l'avenue Elisée-Reclus. Sacha Guitry, en veste rouge est assis à son bureau, recouvert d'objets de sa collection, dont le buste de Balzac par Rodin. Ce beau tableau a toujours figuré, avec celui de Lana Marconi en pendant, au-dessus des bibliothèques du cabinet de travail de Guitry, de 1942 à sa mort en 1957. C'est le portrait de lui que Guitry préférait. Il fut exposé au musée du Luxembourg pour le centenaire de la naissance de Sacha Guitry. Après la dispertion de la collection Guitry par sa veuve, Lana Marconi, ce portrait fut acquis par Jacques Lorcey, puis par André Bernard, deux grands collectionneurs et admirateurs de sacha Guitry.
C'est pour sa pièce N'écoutez pas Mesdames, créée le 19 mai 1942 au théâtre de la Madeleine, que Sacha Guitry commanda à Léon Gard ce pastiche de Toulouse-Lautres, censé représenter Julie Bille-en-bois, danseuse du Moulin-Rouge. L'ancienne danseuse, ruinée, qui va vendre ce souvenir de sa folle jeunesse, est incarnée par Jeanne Fusier-Gir (1885-1973).
Portrait de l'actrice Lana Marconi (dernière épouse de Sacha Guitry), huile sur toile, 92 X 73cm, Paris 1945)
Lana Marconi avait la réputation d'avoir de très belles mains. Sacha Guitry en fera faire un moulage. Il dira aussi : "et dire que ce sont ces mains qui fouilleront dans mes tiroirs après ma mort !" Léon Gard a favorisé dans ce portrait, le "geste juste, expressif" de la main, plutôt que le détail anatomique.
On a souvent dit que la façon dont on faisait les mains était, en matière de dessin, une sorte de critérium. Ce moyen de vérification est certes très fondé dans un certain sens, car le bon dessin d’une main demande en effet un très grand talent. Pourtant il offre un inconvénient : celui de prêter à confusion dans la notion de ce qu’on appelle un bon dessin. Les mains ne gardent pas l’immobilité et donnent naissance à des gestes : il arrive donc qu’on oublie le médiocre dessin des traits de la main en faveur d’un geste juste, expressif, et qu’on appelle main bien dessinée, une main qui n’est que le prétexte à un joli geste. Il arrive enfin qu’une main tracée correctement selon l’anatomie passe pour être bien dessinée, ce dont on ne se contenterait pas pour le dessin d’un visage. Bref, le dessin d’une main cesse d’être un critérium valable lorsqu’on cesse d’y voir un portrait pour n’y voir plus que l’indication d’un accessoire utile : toutes les mains de maîtres sont en effet des portraits aussi soignés que les figures. Pourtant, comme beaucoup d’artistes ont pris l’habitude de croire qu’un œil a plus d’importance qu’un doigt, et qu’on peut traiter légèrement celui-ci lorsqu’on s’est suffisamment occupé de celui-là, on ne situe plus très bien le véritable rang hiérarchique qu’il convient de donner au dessin d’une main, et l’on se contente de trop peu parce qu’on demande trop peu.
Si l’on veut vraiment apprendre à reconnaître la qualité d’un dessinateur par les mains qu’il dessine, il faut étudier tous les maîtres en général, et en particulier les adeptes du trait précis, tels que : Van Eyck, Durer, Holbein, Raphael, David, Ingres, Degas, etc. Car les maîtres sont des maîtres notamment parce qu’ils ne sont jamais tombés dans l’aberration de croire que la main, cet instrument magnifique du cerveau, puisse être relégué à un plan subalterne.
Il y a une partie de la figure humaine qui est probablement le critère le plus sûr en matière de dessin : c’est l’oreille. Contrairement à la main et au pied, l’oreille est statique, ne concourt à aucun geste, reste toujours semblable à elle-même. Mal dessinée, elle ne peut être rachetée par la grâce d’un mouvement, n’est pas mobile comme l’œil, ne sourit pas comme la bouche, et cependant, dans son extraordinaire complexité de forme et son dessin implacablement précis et immuable, elle garde une intense expression. Enfin, la matière cartilagineuse en est très particulière et offre une légère transparence presque insaisissable par la subtilité des valeurs (et en peinture, des tons) qu’elle prend dans ses modelés compliqués. Se doute-t-on qu’on pourrait classer la qualité des peintres de figures uniquement par leurs oreilles ?
Prenons les plus grands noms de l'art selon le verdict de la postérité, et devant lesquels nos plus acharnés prétendus révolutionnaires s'inclinent
parce qu'ils n’y a pas moyen de faire autrement : il n’en est aucun qui ait dessiné de mauvaises oreilles. De plus, la réciproque est vraie : il n’est aucun artiste sachant très bien dessiner une oreille qui
ne soit pas un maître. Connaît-on une oreille mal dessinée de Van Eyck, d’Holbein, de Titien, de Véronèse, de Raphaël, d’Ingres, de Degas ? Par contre, peut-on citer un mauvais peintre qui dessinait et
peignait bien les oreilles ? Connaît-on une oreille bien dessinée de Meissonier, de Gustave Moreau ou de Picasso, pour choisir trois exemples très différents de notoriétés contemporaines ? (Léon
Gard)
Nota : tous les textes en italiques et couleur sanguine de cette page sont de Léon Gard.
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