Léon Gard, autoportrait 1969.
LEON GARD a laissé de nombreux cahiers où, depuis l'âge de 17 ans, il notait ses réflexions sur l'art, de même que ses pensées philosophiques. C'est particuliérement dans les vingt dernières années de sa vie, dans son étroit bureau de l'atelier parisien de la rue des Bourdonnais, qu'il a, fort de son expérience, le plus accumulé de réflexions pessimistes sur l'avenir de notre société. Nous en donnons ici un florilège qui montrera qu'elles sont plus que jamais d'actualité.
NECESSITE D’UN CHANGEMENT
On voit beaucoup de choses vicieuses savamment, puissamment organisées. La citadelle conservatrice du mal usera de ses armes les plus efficaces pour se défendre. Seule une révolution, à la fois intellectuelle et matérielle, pourra la faire tomber. La chance de la révolution, c’est un manque d’idéologie chez l’adversaire. Un scepticisme impitoyable couvert parfois par une idéologie ancienne, usée, effrontément retournée tient lieu de drapeau et une espèce de religion du bien-être matériel par le progrès tient lieu de mystique. Des apparences sociales cachent un seul souci : se conserver avec ses privilèges.
LA BOURGEOISIE
Le bourgeois pense que la révolution de 89 légitime le pouvoir suprême de la bourgeoisie en ce qu'elle est, à ses yeux, le point juste, compte tenu des excès inévitables d'une révolution, entre les abus du seigneur absolu et les abus de la démagogie. Il ne voit pas les abus de la bourgeoisie qui maintient pratiquement l'esclavage par l'omnipotence de l'argent, le préjugé dynastique qui est partout dans la bourgeoisie, la fausse philanthropie financière, le revenu de l'argent, la simonie (ou trafic des choses spirituelles), le refus de donner sa place normale à la valeur naturelle tout en tirant profit de cette valeur.
ENVIE
On dit souvent que les prolétaires sont envieux des bourgeois : c’est toujours vrai dans la mesure où les bourgeois n’ont pas plus de valeur ni de mérite que les prolétaires et que ceux-ci peuvent dire : pourquoi pas moi ? Lorsqu’on jouit de privilèges, il ne faut pas que ce soit à sens unique. Il faut apporter en contrepartie une sorte de capacité, de sagesse, de valeur, d’abnégation que, par définition, les prolétaires ne montrent pas réunies. Il faut que le mérite soit réel, naturel, et suffisamment évident pour qu’il soit difficile au prolétaire d’y prétendre. Ce qui heurte le prolétaire, c’est le bourgeois qui, sans valoir plus que lui, a, néanmoins, une plus grande possibilité pratique de jouissance. De plus, le prolétaire d’aujourd’hui, par la propagande syndicale dont il est abreuvé, est tellement habitué à penser que la seule différence entre le bourgeois et lui sont les avantages du bourgeois que, même si celui-ci a réellement plus de mérite que lui, il a tendance à le nier. De toute façon, le bourgeois n’a rien d’autre à faire que de montrer une supériorité justifiant son titre de bourgeois et non pas d’attendre que son seul titre de bourgeois lui octroie une fallacieuse supériorité. S’il se contente des apparences, qu’il ne s’étonne pas de la révolution de ses pareils plus pauvres.
CAPITALISME
Il n'y a pas de différence essentielle entre le capitalisme des particuliers et le capitalisme d'Etat, fondés l'un et l'autre sur le revenu de l'argent. Le capitalisme d'Etat dispose, avec les impôts, l'épargne, les dépôts en banque, l’intérêt des prêts, les recettes diverses des entreprises nationalisées d'un capital gigantesque. Le capitalisme particulier peut s'incorporer à l'Etat et tend à devenir l'Etat lui-même. Dans un capitalisme d'Etat, les conflits ne peuvent donc naître qu'entre bénéficiaires des revenus de l'Etat, ce qui explique beaucoup.
Naturellement, dans un capitalisme ou un autre, il ne peut rien être changé à la parcimonie avec laquelle sont rétribués ceux qui ont besoin de travailler pour vivre puisque c'est cette parcimonie qui fait les privilégiés. On change seulement le visage de la pseudo-idéologie dont on se sert : au lieu de le nommer bienfaisance, charité, on le nomme progrès social, droit au bien-être. Mais, pratiquement, cette masse laborieuse vit au jour le jour, à crédit si elle ne chôme pas, grevée de cotisations de toutes sortes, qui grignotent les allocations sociales qu’on fait sonner très haut, achète beaucoup de choses à la fois inutiles et très onéreuses qu’une propagande massive répandue par ceux qui fabriquent et vendent les poussent à acheter, espérant toujours en sortir et n’en sortant jamais parce que vivant de beaucoup au-dessus de ses moyens et écrasée de dettes. Elle ne peut non plus réagir par l’épargne, le voudrait-elle : de ce côté aussi elle est happée car sa modeste épargne placée dans des établissements réputés avantageux, commodes et sûrs est l’objet, sous prétexte d’investissements profitant à tous, de prélèvements massifs. Enfin, dans une opération qu’on appelle « intéressement à l’entreprise », une partie du salaire est retenue d’office et sert légalement aux fameux investissements.
Quoique qu’elle fasse, elle n’échappe pas à la dévaluation finale. Le parfait capitalisme est ainsi réalisé : son nom politique est démocratisation du capital mais en réalité il fait de la masse des gens des capitalistes inférieurs qui travaillent pour quelques privilégiés.
PRIVILEGES
Les privilégiés n'admettent pas qu'on supprime leurs privilèges. Pour eux, la vérité, la justice ne commencent qu'à partir du moment où ils les ont obtenus. Ils feraient tout pour les garder.
Aussi ne faut-il pas accorder des privilèges à la légère.
CAPACITE
Il y a beaucoup de gens n’ayant pas de capacité ou très petite qui pourtant vivent et fort bien. Certains «arrivent» et sont loués. Il serait intéressant de voir comment ils s’y prennent : sans doute, jouent-ils la comédie de ce qu’ils ne sont pas, auquel cas beaucoup vivraient de l’abus de confiance.
L'ARGENT DES AUTRES ET L'AVENIR
Quelqu’habiles que soient les moyens employés pour tirer de l’argent des gens, faut-il encore qu’ils en aient et l’on prétend leur en prendre en faisant tout pour qu’ils n’en aient plus. Tout le monde voulant la même sorte de richesse matérielle, il est impossible que tout le monde l’ait. Tous les pays voulant l’expansion commerciale, une richesse perpétuelle du perfectionnement technique pour produire davantage avec une diminution de main-d’œuvre, le résultat sera toujours infailliblement le même : une guerre commerciale acharnée empirant de jour en jour à cause de ses procédés mêmes, c’est-à-dire parce que tous cherchent à s’emparer des mêmes marchés, un chômage de plus en plus gigantesque en même temps qu’une surproduction de marchandise qu’on ne sait à qui vendre. L’écrasement des concurrents, seul, peut être la fin de cette crise, sauf le chômage qui ne sera résorbé qu’en revenant à l’esclavage. Après beaucoup de guerres implacables, quelques industriels et quelques banquiers subsisteront et seront les maîtres. Le monde entier aux mains des industriels et des banquiers qui auront droit de vie et de mort sur une masse d’esclaves, voilà la poésie future.
LES METIERS ET LES EMPLOIS
On ne parle plus de métiers mais d’emplois, lesquels seront en grande partie supprimés par l’électronique. Dans ces conditions, l’homme perd son âme. Il faut qu’un homme soit fier du travail qu’il fait en se disant que la société est ce qu’elle est beaucoup grâce à lui, car une société digne de ce nom vit par les métiers et non par les expédients. Mais si cette société lui présente une vilaine image et que, par surcroît, il a le sentiment quand il y réfléchit d’être complice de cette laideur tout en étant un rouage méprisé autant qu’éphémère, il se sent avili. Les métiers ennoblissent l’homme tandis que les emplois en font un ilote sans espoir.
LA PAIX ET LA JUSTICE
Les gens «arrivés» parlent toujours de paix parce qu’ils tendent à conserver les biens acquis et ceux qui veulent «arriver» parlent toujours de justice. Ceux qui ont acquis des biens mais en voudraient encore parlent alternativement de paix et de justice selon les endroits où il y a ou non des choses leur appartenant ou des choses qu’ils ambitionnent de prendre. C’est ainsi que la paix et la justice ne sont pas toujours des mots purs.
LA RAISON DU PLUS FORT
« La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Cette formule ironique de La Fontaine signifie que la plus grande force et la juste cause ne font qu’un aux yeux de ceux qui se rangent systématiquement de son côté et qui, par conséquent, trouvent bonne à l’avance la raison qu’il donnera. Dans l’absolu, la juste cause n’est pas toujours accompagnée de la force mais la juste cause est une force en soi. Si elle échoue parfois, souvent, dans l’immédiat, elle s’obstine implacablement à triompher à la longue. On ne se méfie pas de la chimie du remords qui empoisonne les triomphes pratiques les plus grands et provoque les conversions les plus inattendues. Qu’on soit fort ou non, il vaut mieux être juste.
REFERENCE N’EST PAS RAISON
Des causes affreuses s’habillent parfois de références vénérables. On peut même dire que plus une cause est mauvaise, plus elle a besoin de s’appuyer sur des références, sur un pavillon noble. Car rien n’empêche le plus fort de s’emparer d’un édifice, d’un territoire, d’une forteresse, d’un pouvoir et de faire le contraire des êtres vertueux qu’il a dépossédés en disant qu’il les continue dans le bien : il prétend même hautement qu’ils ont trahi et que son intervention a tout sauvé. Aussi, faut-il juger les gens par leurs actes et non par leurs paroles et ne pas oublier que voir le fait est essentiel.
CONFORMISME
Un conformisme est toujours obligatoire de quelque façon : le pouvoir ne supporte pas qu’on parle, qu’on écrive vraiment contre lui et s’il le supporte, c’est qu’il n’est pas le pouvoir. Dans les pays de régime franchement absolu, c’est un inconvénient brutal que de ne pas se conformer à l’opinion officielle. Dans les régimes de formes libérales, on peut être ostensiblement anticonformiste mais ce n’est qu’une apparence car les conditions dans lesquelles on vous permet de l’être sont bien délimitées : l’opposition elle-même n’est qu’une forme de conformisme et a souvent pour but réel de repérer les mécontents : dès qu’une opposition devient véritable, elle est plus facilement anéantie si l’on sait où elle est.
PACIFISME
Le pacifisme est une vertu sublime qui existe réellement chez certains êtres mais, en général, il est rare que ceux qui se disent pacifistes le soit réellement. Ceux qui ont quelque chose à conserver ou à prendre personnellement et matériellement au nom d’une prétendue justice ne peuvent être des pacifistes.
LA PREUVE
Si un être ne vous a jamais donné de preuve d’un attachement désintéressé, comment y croire autrement que par hypothèse? Il s’ensuit que beaucoup de vies sont bâties sur des hypothèses.
EVIDENCE DE L'INEGALITE
Dans le fait pratique, l’inégalité des êtres et des choses saute aux yeux. Au reste, les supériorités ne sont pas toujours plaisantes pour les supérieurs et déplaisantes pour les autres.
Une supériorité peut mettre dans un mauvais cas et une infériorité être un abri plus confortable («Pour vivre heureux, vivons cachés» dit La Fontaine). L’important est de voir la chose telle qu’elle est.
SUFFRAGE UNIVERSEL
Les choses politiques étant déjà difficiles à comprendre pour des esprits au-dessus de la moyenne, il s’ensuit que l’opinion de la majorité ne peut comprendre ces choses que tardivement
SAGESSE
Ne voir, comme bien suprême, que sa propre sécurité, son bien-être, son confort, sa conservation, sa prospérité est une fausse sagesse passant pour vraie. La sagesse étant un sentiment proprement humain, il faut qu’elle se situe au-dessus d’un sentiment purement animal. Il n’y a pas de prudence qui doive faire qu’un sentiment de justice devienne lettre morte, même s’il apparaît certain que prendre parti pour cette justice nuira à notre bonne conservation matérielle. C’est beaucoup demander car les êtres veulent avant tout exister égoïstement, l’altruisme lui-même n’étant qu’un moyen de pression collective : voilà l’animal dans l’homme. Mais il reste cette partie importante de l’homme qu’il faut contenter spirituellement.
LES FAITS
Les gens s’empressent de tirer des conclusions sur des faits dont les causes sont toutes différentes de ce qu’ils croient.
LES FAITS ET LES EXPLICATIONS DES FAITS
Devant un résultat, il faut faire la part des faits proprement dits et la part d’explications qu’on donne de ces faits. Ces explications sont des hypothèses qui varient infiniment, parfois du tout au tout, selon les caractères et les intérêts. Le rare est que les explications soient exactes.
LA DIFFUSION SCIENTIFIQUE
Il est de plus en plus difficile et illogique que la grande valeur puisse se produire dans l’immédiat contre la valeur moyenne ou au-dessous de la médiocrité imposée par des appareils de diffusion tels que la télévision ou les transistors. Avec ces jouets scientifiques qui ressemblent fort à la crécelle enchantée du porcher d’Andersen, les peuples courent infailliblement aux malheurs qu’apportent les croyances fausses.
LES MATHEMATHIQUES
Les mathématiques, devenues une espèce de religion de l'exactitude athée et, pourrait-on dire, de négation du métaphysique, ne sont pas tout ni même l'essentiel. A toutes les époques on a pratiqué brillamment les mathématiques. Pythagore, Platon, Aristote et bien d'autres en ont fait sur un plan supérieur : ils n'ont pas découvert, qu'on sache, ou publié l'électricité ni la force atomique telles qu'on les voit aujourd'hui. Il paraît bien que les mathématiques soient ce qu'on les fait et répondent selon qu'on les interroge de telle ou telle façon.
Avant toute mathématique, il faut avoir une idée. Cette idée, point de départ, est juste ou non. Si elle ne l'est pas, les mathématiques qui l'appuient fonctionnent dans un mauvais sens et la servent aussi bien que si elle était juste car la cause n'est pas rendue juste par la justesse de l'instrument qui la sert.
Les mathématiques ne sont qu'un instrument supérieur qui devient nocif dans la mesure où l'orientation de cet instrument est nocive ("origo majorem", disait un auteur ancien).
LA CIVILISATION DES MACHINES
Il est évident qu’il y a des machines qui marchent et des machines qui ne marchent pas ou mal et que, par conséquent, l’invention de machines qui marchent, témoignant de la compréhension de certaines choses, est du domaine de l’intelligence. La question principale est de savoir si l’intelligence de certaines choses est l’intelligence essentielle au bonheur humain ou bien si on le croit seulement. On voit que les machines donnent la primauté à la plus grande force brutale, d’une part, et au plus grand confort, de l’autre. Or, donner la primauté à la plus grande force brutale n’est évidemment pas la mission de l’intelligence humaine. Quant au confort, il y a une loi humaine voulant que, dépassé un confort sommaire, le confort devienne un mal. La méthode éternelle du renoncement, du sacrifice, de la sobriété, reste implacablement valable et plus nécessaire encore pour éviter d'être submergé par la tyrannie du confort, car il y a un moment où le confort et l’agréable rendent malheureux, laids et tuent. Ainsi, la civilisation des machines est une route vicieuse de l’intelligence humaine, elle est de l’intelligence employée à de mauvaises fins.
Que l’intelligence puisse être employée à de mauvaises fins, indique que l’intelligence peut être employée à de bonnes fins.
LE CONFORT
Notre époque voit dans la poursuite du plus grand confort une espèce d’idéal utilitaire pour lequel les dépenses les plus gigantesques sont faites qui passent pour la première des nécessités. Pourtant, lorsqu’on lit n’importe quel livre peignant le passé, on constate qu’il y avait, avant le confort, plus d’enthousiasme, moins d’ennui chez l’être humain en général, qu’aujourd’hui. L’important, pour l’être humain, étant davantage dans la ferveur qu’il porte en lui que les objets qu’il poursuit de son désir, lesquels sont parfois des erreurs et des illusions, il faut favoriser le meilleur et les plus grosses dépenses doivent raisonnablement être faites pour les choses les plus importantes et non pour les futiles. Or, il est bien évident que le confort est parmi les croyances futiles, sinon dangereuses, auxquelles on donne le premier rang.
LA LAIDEUR TOUTE PUISSANTE
Le monde entier est une gigantesque usine, laquelle façonne de plus en plus le sort des humains. Quand on feuillette une de ces revues spécialisées, ce n'est que hauts-fourneaux, monstrueux tuyaux, forêts de longues cheminées qui ont remplacé les forêts d'antan, crachant leurs fumées plus ou moins empoisonnées, engins et bâtiments rigides qui obéissent aux principes de la laideur. Dans ces revues, on se félicite de la prolifération et de la prospérité de tout cela, dans lesquelles on voit la condition du bonheur humain. Il est étonnant que le bonheur, chose si harmonieuse, si belle, puisse être fonction de choses si laides. Les industriels, malgré leur puissance, n'ont pas réussi à écraser définitivement la beauté, et c'est tant mieux pour eux-mêmes car ils n'en seraient pas les derniers épouvantés : la possession du monde qui est leur passion ne les consolerait pas de cette perte effroyable que serait la perte de la beauté, de la poésie. Rien de plus éloquent, de plus merveilleux dans ce sens, dans le sens de la beauté expressive de la nature pure que L'île de la Fée d'Edgar Poë.
Vulcain sans Vénus deviendrait triste comme Satan.
PERTE DE CONFIANCE
La confiance perdue est une blessure inguérissable parce que se laisser aller à la confiance est une espèce de repos sacré, total, exceptionnel qui ne peut être terni, même partiellement.
C’est pourquoi, souvent, on ne veut pas voir qu’on est trahi parce qu’on sait tout ce qu’on perd quand on en est sûr. Ceux qui font profession d’abuser de la confiance le savent bien car ils voient réussir leurs impostures les plus voyantes. Mais le succès même les aveugle et trop d’abus finit par les perdre : Le Tartuffe de Molière.
LA PAIX ET L'ORDRE
Quand le mal triomphe, la paix et l'ordre sont le maintien du mal par les lois.
NATIONALISME
Les nationalismes existent toujours en potentiel comme existent beaucoup d’instincts que l’occasion peut faire éclore. L’occasion est provoquée par les circonstances. Par exemple, l’idéologie de l’indépendance, de la liberté, ou une idéologie quelconque comme le prétendu anticapitalisme, la prétendue égalité, la prétendue démocratie, la prétendue paix universelle. En fait c’est toujours à la guerre qu’aboutissent n’importe quels principes car il faut, pratiquement, une armée efficace pour défendre la cause.
Un nationalisme est plus ou moins franc, plus ou moins détourné, mais c’est toujours, finalement, un nationalisme en ce sens que les pays se vantent d’avoir les meilleurs idées. Ce qui donne aux nationalismes le plus de virulence ce sont les fournisseurs d’armes, qui fournissent les uns et les autres sous des noms divers d’apparence nationale. Les nationalistes deviennent alors de simples pièces de l’échiquier des fournisseurs d’armes. Tu as un sous-marin : il m’en faut deux. Tu as tant d’avions, de tanks, de mitrailleuses, de fusées : il m’en faut donc davantage, etc. C’est la course à la surenchère qui fait que les fournisseurs d’armes gagnent toujours par des moyens enfantins et sont les véritables maîtres de la situation.
LA LIBERTE
Le mot « liberté », à lui seul, n’a pas de sens. Le sens apparaît lorsqu’on précise liberté de quoi et de qui, auquel cas on apprend que telles choses sont permises et les autres interdites. Dans la pratique, il n’y a donc pas de liberté absolue puisqu’il y a des lois, des règlements, des tribunaux, une police, une armée. Pourquoi cette étiquette en politique ? Ce mot, avec le sens qu’on lui donnait alors vient de la Révolution de 1789 : c’est-à-dire que les lois de l’Ancien Régime étant devenues, avec la décadence, trop injuste et tyrannique, tournaient parfois à une telle oppression que le mot « liberté » était celui qui venait aux lèvres et disait tout. Le mot ne tarda guère à être détourné du sens que lui donnaient les idéalistes, mot dont l’origine n’est qu’une soif de justice. Déjà l’on disait : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », formule inquiétante qui permet d’écraser qui l’on veut au nom d’une indéfinissable liberté. Ce qu’il eût fallu, c’est rejeter très tôt ce mot ambigu pour le remplacer en toute conjoncture par le mot plus précis de « justice ». Mais, en politique, c’est moins la justice que l’on veut qu’une autre forme d’injustice instaurée au nom d’idées nouvelles et suffisamment vagues. Le système démocratique exige que la population soit d’abord flattée ; le reste peut être tyrannique.
CALCUL
Plus les calculs sont petits, mesquins, compliqués, plus le vulgaire y trouve plaisir et intérêt croyant être savant.
SE TROMPER
On peut se tromper quand on suppose mais on ne se trompe pas quand on voit vraiment de sang-froid. Pourtant, beaucoup croient à ce qu’ils supposent et conservent leur conviction sans avoir cherché à vérifier parce qu’ils jugent leur intuition infaillible. Mme Pernelle supposait que Tartuffe avait toutes les qualités. Orgon le croyait aussi, jusqu’au jour où il vit de ses yeux que Tartuffe faisait une cour très poussée et cynique à son épouse, contrairement à Mme Pernelle qui, elle, n’ayant rien vu, continuait d’accorder à Tartuffe une confiance inconditionnelle. Cette confiance paraissait désormais bouffonne, odieuse à Orgon qui répétait à Mme Pernelle, laquelle n’en démordait pas : «Mais puisque je vous dis que je l’ai vu, de mes yeux vu, ce qui s’appelle vu.» Molière exprime bien la tragique obstination des convictions fausses.
PARADOXE
La société vit sur des conventions, des croyances qui ne sont pas toutes des certitudes, loin de là. La nature, qui reste elle-même à travers les usages les plus ancrés et, d’ailleurs, souvent contradictoires, devient, dans ce cas, subversive et paradoxale, c’est-à-dire en contradiction avec beaucoup d’usages.
Ceux qui suivent franchement la nature parce qu’ils voient le superficiel et le faux des usages sont appelés subversifs et paradoxaux dans le sens de mauvais esprits et contrariants par système, alors qu’ils ne cherchent nullement à contrarier les hommes mais s’efforcent d’éviter de contrarier la nature.
LE MILLE-PATTES
Quel est celui qui, découvrant un mille-pattes sur le mur de son cabinet de toilette, ne s’est pas précipité pour le tuer ? Et pourtant la faiblesse de ce malheureux mille-pattes ne le menaçait nullement. Cet insecte, comme lui aimait sa courte vie. Comme lui, c’était une créature de Dieu. Il avait même quelque chose d’extraordinaire avec ses innombrables pattes, ses écailles, ses antennes. Il avait quelque chose d’extraordinaire comme tous les insectes, comme tous les oiseaux, comme tous les reptiles, comme tous les animaux, cet extraordinaire qui paraît ordinaire à force de le voir. Seul, un instinct raciste pousse à détruire ce qui est trop différent de nous et paraît menaçant par cette différence-même et l’est réellement quand ce qui est différent de nous l’est aussi par une force et une agressivité plus grande. Chez l’homme supérieur, il y a un instinct généreux qui respecte la faiblesse à travers l’instinct brutal de destruction, même quand il est fondé à supposer que cette faiblesse peut devenir force. La supériorité de l’homme supérieur est en ce qu’elle s’oppose à la prudence parfaite et en ce qu’il risque aussi que, par une ruse immonde, la faiblesse, la maladie, la blessure ne soient simulées et cachant un piège cruel.
COMME AUTREFOIS
« Comme autrefois » est un terme contenant une mystérieuse poésie qui est peut-être une nostalgie du paradis perdu, le désir d’immobiliser le temps qui fuit, le désarroi, l’isolement consécutifs aux choses qui changent et heurtent sans égard, la désorientation du côté aimant d’une nature qui ne trouve pas de but à son amour.
ETAT CIVIL
Un scribe de la mairie a, un jour, écrit honnêtement qu’un enfant de sexe masculin ou féminin était né telle année, tel jour, telle heure. Cet écrit, malgré sa probité, sa commodité administrative, ne décide pas de tout. En fait, des gens nés à la même date évoluent différemment. Ils vieillissent d’une façon plus ou moins prononcée et meurent à des époques différentes, grisonnent de bonne heure ou tard, épaississent ou maigrissent ou restent stables, perdent leurs cheveux, leurs dents ou ne les perdent pas, portent lunettes ou non, progressent spirituellement, stagnent ou s’amoindrissent, tout cela sans qu’on sache au juste pourquoi. L’état civil ne tient pas compte de toutes ces choses qui, elles-mêmes, ne tiennent pas compte de l’état civil.
LE MARIAGE ET L’AMOUR
Le mariage est une institution terrestre qui implique nécessairement des conditions terrestres. Par contre, le délicieux de certaines aventures a quelque chose de l’au-delà et passe comme un météore au-dessus des choses organisées par la terre, tandis que le mariage est conçu pour s’y incorporer. Le mariage comporte une part de calcul psychologique et pécuniaire ; la passion, au contraire, impose sa loi : le mariage est donc réaliste et l’amour ne l’est pas ou pas du tout de la même façon puisque sa loi doit dominer. Ainsi, c’est une utopie de vouloir qu’obligatoirement amour et mariage ne fassent qu’un. Les calculs financiers omnipotents rebutent certains êtres qui, justement, ne se marient pas, vivent en marge, entrent en religion, religieuse ou laïque, selon la nature de leurs dons. Ils sont logiques avec eux-mêmes : le mariage ne leur apporte rien.
Quand on choisit de se marier, l’important est de faire un bon mariage : La Rochefoucault disait avec beaucoup de bon sens et de profondeur que s’il y a de bons mariages, il n’en est pas de délicieux.
RHETORIQUE DU FAUX
Il y a des personnes qui, dans certains cas, inclinent les choses comme ils veulent qu’elles soient et refusent de les voir telles qu’elles sont réellement, jusqu’à nier délibérément l’évidence avec une ingéniosité qui est parfois de l’art. Ces personnes sont utiles: elles font progresser la rigueur et la clarté du raisonnement, ainsi que la précision des citations. Elles ne permettent pas le vague, l’à peu près, fût-il éloquent. Elles rappellent aussi qu’on peut soutenir brillamment le pour et le contre si l’on est habile.
AMOINDRISSEMENT DE L’AGE
Schopenhauer dit qu’avec l’âge, tout pâlit et que toutes les sensations s’amoindrissent: c’est une opinion conventionnelle. Il serait ridicule de nier les ravages de la vieillesse. Pourtant, toutes les aptitudes ne diminuent pas d’intensité pas plus que toutes les jeunesses ne sont capables et c’est, dans certains cas, plutôt mutation que décadence: il y a des choses qui n’intéressent plus ou qui intéressent autrement; on voit par-dessus les nuages au lieu de voir par-dessous. On voit davantage les choses comme elles sont et soi-même comme on est et l’on n’est plus capables d’entreprendre avec le seul soutien des illusions. On comprend, par contre, des choses qu’on ne comprenait pas avant. Ce qui paraissait impossible paraît possible. Des choses qu’on ne croyait pas se révèlent et l’âge est souvent l’époque des découvertes. Bref, l’opinion de Schopenhauer est systématique et ne tient pas compte de toute la réalité: dans la vieillesse, il y a une évolution et pas seulement un amoindrissement. La jeunesse a ses lacunes, il est compréhensible que la vieillesse ait les siennes. Non, tout ne pâlit pas également et ce n’est pas aussi uniforme. On est plus difficile et les choses qui satisfont sont plus rares, tandis que les choses qui déplaisent sont plus nombreuses. La vieillesse, c’est une différence plutôt qu’une pente qu’on descend.
LES ABUS
Ce qui choque, ce n’est pas l’omnipotence du génie mais l’omnipotence de l’ordinaire. Les abus du génie sont regrettables mais les abus de la médiocrité sont plus grands, plus constants et inadmissibles du point de vue du bon sens.
L’OPINION COURANTE
Ce qui n’est pas tenu comme vérité courante passe pour impossible et pour absurde. L’évidence- même ne convainc pas: on croit à quelque stratagème. En revanche, on tient pour vrai ce qui est affirmé communément, officiellement, même si la fausseté de la chose est flagrante: par la même opération inverse, on croit qu’un mirage quelconque fait paraître faux ce qui est vrai. Aussi, l’opinion courante est-elle toujours un peu suspecte, en principe, aux raisonneurs rigoureux.
L’ELOQUENCE
Cicéron, qui passe pour incarner l’éloquence, n’en fait pas moins un vif éloge du style dénudé de César dans «La guerre des Gaules». Ce qui signifie que l’éloquence n’est pas ce qu’on croit: à savoir, un embellissement d’une réalité qui serait maussade sans cela, mais plutôt une défaite, un pis-aller, un dépit de ne pas saisir la réalité aussi clairement qu’on voudrait et de cacher sa défaillance par des fioritures de formes.
Victor-Hugo écrit: «Les Mirabeau ne sont pas prévus par les Cicéron».
JUSTESSE DU CALCUL
La justesse du calcul est tout en tout chose. Il faut, par conséquent, que le plan où l’on se place soit, lui aussi, un calcul juste par rapport à l’équilibre humain, car rien n’est plus funeste qu’un calcul seulement juste dans le détail et faux dans l’essentiel: la justesse du détail aggrave l’erreur de l’ensemble en lui donnant une existence et un côté de vérité.
LA POSTERITE
Ce qu’on appelle la postérité, c’est l’opinion répétée de gens capables de juger: ils n’étaient donc pas à leur place quand, par exemple, l’œuvre jugée belle par la postérité a été jugée affreuse à sa naissance par les spécialistes en honneur qui, eux non plus, n’étaient pas à leur place.
LES TRESORS DE TOUTANKHAMON
En réponse à ceux qui vous disent sans cesse: «Il faut vivre avec son temps», on doit répliquer que ce n’est pas vivre avec son temps que d’organiser une exposition sensationnelle où l’on montre des sculptures arrachées à un tombeau datant de près de quarante siècles, et que ce qu’on appelle «son temps» n’est pas toujours ce qu’on croit et qu’il n’exclut ni la révision ni la correction ou même la suppression de choses passant aux yeux de certains pour «notre temps».
LE MAL ET LA DECADENCE
Le mal le plus grave n’est pas une mauvaise chose passant pour mauvaise mais une mauvaise passant pour bonne. Ainsi, le mal ce sont les bonnes idées déformées, comprises à contre-sens par la décadence et vivant sur la réputation de ce qu’elles ne sont plus.
LA GRANDE RICHESSE
La grande richesse, qui fait tant d'envieux, donne aux personnes immensément riches ce complexe qu'elles ne sont pas aimées pour elles-mêmes. Dans une grande part c'est vrai. Ces pauvres riches veulent l'impossible. Pourquoi seraient-ils aimés pour eux-mêmes puisque l'effervescence qu'ils provoquent autour d'eux vient de leur argent et non de leurs qualités propres ? Non seulement la grande richesse n'achète pas le sentiment mais elle le paralyse car la conservation de la richesse implique des sentiments et des méthodes pour le moins égoïstes incompatibles avec le laisser-aller du cœur. Malgré le droit légal d’être riche ou, précisément, à cause de cette légalité, on trouve étonnant qu’une personne soit si riche. Enfin, cette grande richesse, dans un temps sans bonhommie, attire autour d’elle des papillons vénéneux qui dressent un barrage terrifiant et ne donne pas envie de pénétrer dans une pareille atmosphère. Les gens simples et droits étant éliminés par la compétition de courtisans avides et implacables, l’homme très riche se sent parfois cruellement isolé et menacé malgré l’illusion mielleuse de la flatterie dont il se réveille parfois brutalement.
PUBLICITE
Le père de Montaigne proposait un registre, une espèce d’annuaire dans chaque ville où seraient indiqués tous les spécialistes de la ville (Essais de Montaigne). Cette publicité-là n’était qu’un renseignement impartial, c'est-à-dire non-tendancieux comme aujourd’hui où l’on indique les uns et pas les autres, où l’on veut écraser son voisin par des lettres plus grosses, un placard plus large. Les grosses enseignes interdites au Moyen-Age sont devenues lumineuses et ne connaissent plus qu’une règle : tuer l’autre pour être le plus en vue. La publicité d’aujourd’hui est une arme à puissance triple : positive, négative, inerte. L’arme positive consiste à vanter du ton le plus sonore et dans la plus large mesure ce qu’on veut vanter ; l’arme négative consiste à dénigrer le plus ingénieusement, et sur la plus vaste échelle, le commerce qui vous gêne ; l’arme d’inertie consiste à ne rien dire, même et surtout dans une rubrique spécialisée, afin, par le silence, d’étouffer moralement ce qu’on veut voir disparaître ou empêcher de paraître.
Nous sommes loin du père de Montaigne qui n’ambitionnait que de rendre service. La publicité moderne est une guerre : tuer l’adversaire par tous les moyens. L’exemple du slogan publicitaire moderne méprisant les gens qui refusent d’entrer dans l’engrenage des achats à crédit en dit toute la méchanceté : « Celui qui n’achète pas à crédit n’a pas de crédit ».
PHILOSOPHIE ET SCIENCE TECHNIQUE
Dans l’ordre de la hiérarchie intellectuelle, la philosophie est de beaucoup supérieure à la science technique. Celle-ci est un genre de connaissance qui ne tient compte que de ce qui peut se vérifier tandis que la philosophie est un genre de connaissance qui part du terme où la science technique arrive, c’est-à-dire qu’il constate que l’essentiel de ce qui concerne les hommes n’est pas vérifié positivement et qu’il faut chercher un autre moyen de discerner. La science technique étant défaillante pour l’essentiel, ce serait le monde à l’envers qu’elle dicte sa loi à la philosophie. L’ambition de la science actuelle est pourtant de professer qu’aucune croyance n’est valable sans vérification, sans explication et de croire, par contre, ce qui est pourtant une croyance non vérifiée, qu’elle pourra tout comprendre et vérifier un jour ou l’autre. La philosophie, à la fois modeste, plus compréhensive et plus logique admet cette évidence que les choses les plus importantes sont précisément ni vérifiables ni explicables par nature même et ne voit dans la science technique qu’un moyen d’investigation limité. Descartes est excellent si l’on refuse de croire vraie une chose qu’on a vérifié être fausse. Pascal est excellent si l’on admet que ce qui mène le monde ne se vérifie pas ni ne s’explique. Ces deux pensées se confirment mutuellement.
Tout phénomène a une cause, c’est vrai, mais l’important est de comprendre que notre esprit est ce qu’il est, c’est-à-dire qu’il a des limites, n’est pas capable de tout embrasser et que pour nous, enfin, il y aura toujours l’invérifiable par nature. Ce refus de l’invérifiable par nature est l’orgueil illogique et la faiblesse des hommes de science de notre temps qui ne voient pas que le vérifiable sort de l’invérifiable.
FAIBLESSE DU RAISONNEMENT
Il n’est pas bon que certains suivent un raisonnement s’ils raisonnent mal : leur instinct est plus juste. La société, leur entourage leur inculquent de bonne heure une façon de raisonner selon cette société et cet entourage, c’est-à-dire à altérer profondément leur instinct, qui est pourtant la base de tout, à rester aveugle et sourd aux choses essentielles, à vouloir ne pas voir, tenir pour faux ce qui est vrai et pour vrai ce qui est faux. Tout cela est remis au point par la nature un jour, généralement trop tard, parfois à l’heure de la mort. L’instinct ne s’endort jamais tout à fait.
MYSTERE
Il y a des gens qui prétendent tordre le cou au mystère comme à autant de falsification et comme si tout devait s’expliquer ou ne pas être. Il n’y a que le raisonnement qui explique : or on raisonne clairement selon des principes dont l’origine n’est pas claire et, qu’on le veuille ou non, mystérieux. Le raisonnement est un instrument d’organisation et non de jugement des principes. Vouloir faire préexister le raisonnement à tout, c’est vouloir que l’enclume commande au forgeron. Etre choqué par une injustice, une cruauté, une fourberie, un crime et n’être pas choqué par un raz-de-marée, un tremblement de terre, une tempête, même si l’on est épouvanté, est inexplicable aux plus grands donneurs d’explications et prouve péremptoirement que la Responsabilité est un mystère humain comme beaucoup d’autres auquel, seule, l’humanité est soumise, on ne sait pourquoi.
ELITE
Le grand malentendu, c'est de croire qu'on peut être secondairement un prince de l'esprit, c'est-à-dire après avoir assuré une certaine surface sociale. On oublie qu'on assure aujourd'hui une surface sociale par des procédés incompatibles avec ceux d'un prince de l'esprit et on est trop enfoncé dans l'engrenage des manoeuvres d'argent pour ne pas s'en trouver définitivement marqué.
ENSEIGNEMENT DES PHILOSOPHES
Les grands philosophes, sur la conduite de la vie, visent parfois le même but quant au fond, mais comme toutes les époques ont leurs erreurs propres, tombent souvent dans les excès opposés de l'époque précédente ou dans de déformations de maximes tournées à contre-sens, ils paraissent dire des choses discutables et parfois contraires. Le même philosophe ne parlerait pas de la même façon à des époques différentes. Notamment, il serait obligé de redresser les erreurs de ses propres disciples ayant répandu un enseignement qui était bon à une époque et mauvais à une autre.
LA RUSE
Les gens sans valeur remplacent la valeur qui leur manque en faisant un système de la ruse : en agissant ainsi, ils donnent leur démission d’homme. On confond souvent être « malin » et être intelligent : on trouve chez l’homme ce qu’on appelle la spiritualité et l’on ne trouve que la ruse chez l’animal. Ainsi, l’homme qui guette sa proie et arrive par la tromperie et la brusquerie à l’attraper se rabaisse à l’animalité.
LA VIE ET LA MORT
Il n’y a pas de différence entre la vie et la mort si l’on pense que la mort la plus profonde est la décadence morale et si l’on pense que la mort physique n’est qu’un accident sous des formes variées, à brève ou longue échéance : maladie, vieillesse, risques violents dans la guerre, accidents, périls, suicide. Cette mort physique qui ne se produit pas sans une vive et dramatique opposition de l’instinct vital, exprime tout à coup une grande sérénité quand elle est accomplie. Par cette sérénité, inexplicable sans cela, elle évoque davantage une mutation qu’une fin.
Cahier manuscrit de pensées de Léon Gard
Léon Gard dans son bureau de l'atelier de la rue des Bourdonnais en 1977 (photo Michel Duvernay)
Commentaires et notes de Léon Gard sur les pages de garde d'un exemplaire des "Contes drolatiques" de Balzac.
Notes et commentaires de Léon Gard sur un exemplaire du théâtre de Shakespeare.
Commentaires et notes de Léon Gard sur un exemplaire des "Lettres provinciales" de Blaise Pascal.
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