FACE A L'ART NON FIGURATIF
"La décadence du portrait s'explique par la mauvaise foi écoeurante dans la flagornerie des portraitistes mondains en vogue à la fin du 19° siècle et au commencement du 20°.
Ces enjolivements affreux dans les portraits de gens qui exigeaient à la fois d'être ressemblants, séduisants et spirituels ont produit des oeuvres monstrueuses de fadeur et des crimes contre cette vérité en art sans laquelle rien ne résiste au temps."
Léon Gard
Georges Renand a constitué une des plus importantes collections d'oeuvres d'art de son temps. Lorsqu'une partie de celle-ci fut dispersée à Drouot-Montaigne entre 1986 et 1987, au cours de quatre séances mémorables, le public put découvrir une série de chefs d'oeuvre tels que The Piebald horse de Paulus Potter, aujourd'hui conservé au Getty Museum, Paysanne près de l’âtre de Van Gogh ou Une vue de la Seine de Seurat, désormais dans les collections du Musée d'Orsay et du Metropolitan Museum de New York et cela sans compter d'autres merveilles d'Ingres, Corot, Seurat, Cézanne, Matisse ou Modigliani (La Belle Romaine et La Femme à la cravate noire entre autres).
Cette collection comportait aussi une quinzaine d'oeuvres de Léon Gard, dont le portrait de Georges Renand (ci-contre), le portrait de son épouse (ci-dessous), des natures mortes et des vues de Paris.
Il y a longtemps qu'on ne fait plus de peinture proprement dite. On exprime seulement des idées, bien ou mal, par le moyen de la peinture. Si ces idées sont à la mode, la peinture qui les exprime fortement passe pour bonne tant que ces idées sont à la mode. La postérité, elle, ne retient que l'oeuvre picturale : c'est pourquoi il y a toujours tant de distance entre la peinture qui passe pour bonne à son époque et celle qui est tenue définitivement pour telle.
Les chefs-d'oeuvre en profondeur réussissent mal dans les sociétés démocratiques. Il y faut, de préférence, des chefs-d'oeuvre en surface brillante, puisque le côté profond d'un chef-d'oeuvre échappe au nombre.
« Je garde un excellent souvenir de mes séances de pose et tiens à vous dire encore que je trouve mon portrait très ressemblant et fort réussi. Je serai heureux de conserver chez moi ce spécimen de votre beau talent. » (Comte Arnaud Doria)
Tout ce qui est à la mode en art est obligatoirement contre l'art : les qualités qui font l'oeuvre d'art n'ont pas d'âge. Ce qui, au contraire, définit essentiellement la mode est d'être passagère. Les bons artistes, s'ils sont à la mode, sollicités par les commerçants d'oeuvres d'art qui veulent de la marchandise, se négligent pour produire davantage. les mauvais et leurs initiateurs travaillent sans relâche, occupent les places fortes de l'art, et font des lois qui tuent.
Certains ont une prévention défavorable envers un tableau parce qu'il est ancien. On voit, de même, avoir une prévention favorable envers un tableau parce qu'il est moderne ou défavorable a priori précisément parce qu'il est moderne. Tout cela est faux : la qualité du tableau, seule, compte et c'est la seule chose qu'ils ne voient pas.
En art, le vrai, en fin de compte, est toujours reconnu. Mais avant d'arriver à la vérité définitive, on peut dire n'importe quoi. Les appréciations les plus fantaisites, les plus étrangères aux intentions de l'artiste, au résultat obtenu, au caractère de l'oeuvre et de leur auteur non seulement ne choquent personne mais encore passent pour bonnes selon les autorités du moment qui les expriment. Cela tient à ce qu'aujourd'hui les choses sont classées officiellement par des personnes dont le jugement n'est pas libre. Par exemple, un journaliste écrira que tel artiste a du talent et que tel autre n'a aucun talent, sans qu'il se préoccupe de la justesse de ses appréciations, sa seule préoccupation étant de faire valoir son opinion plutôt qu'une autre, préoccupation qui n'a rien à voir avec l'art et qui est le contraire de l'impartialité.
La désinvolture de frans Hals ou de Manet, etc., sont belles parce qu'ils ont l'oeil et la main. Mais que de désinvolture dans la peinture moderne sans l'oeil et la main !
En art, la tendance, dont on parle beaucoup, dont on parle trop, n'est rien. On fait beaucoup de raisonnement sur la tendance de l'art et l'on oublie l'essentiel : qu'un oeil harmonieux est tout, quelle que soit la tendance. On a beaucoup plaisanté certains titres de tableaux aux artistes français comme : "innocence", "espièglerie", etc. Le criterieum du tableau n'était pourtant pas son genre mais sa qualité. Un tableau de frans Hals s'intitule "Le galant cavalier" et c'est un chef-d'oeuvre. Est-ce la tendance qui fait que Rubens, Titien ou Velasquez sont ce qu'ils sont ? Beaucoup qui ont peint dans la même tendance ne sont pourtant rien : il y fallait en plus ce "quelque chose" dont parle Renoir.
Mais sans les discussions infinies sur l'art, il n'y aurait plus de critique d'art, sinon pour blâmer ou approuver, ce qui restreindrait beaucoup son rôle.
Ceux qui, dans la vie comme dans l'art, sont incapables de dire la vérité constituent la grande majorité et ceux qui, au contraire, parviennent à la dire de quelque côté dans ce qu'elle a d'essentiel sont des gens rares dont on parle longtemps parce que les hommes sont d'autant plus attachés à la vérité qu'ils la voient bien dans le détail, mais qu'elle leur échappe généralement dans ce qu'elle a de plus important pour eux.
Ce portrait de l’actrice Jeanne Fusier-Gir, qui fut une des actrices « fétiches » de Sacha Guitry, est le second que Léon Gard fit d’elle. Le premier, exécuté à la manière de Toulouse-Lautrec, lui avait été commandé spécialement par Sacha Guitry pour sa pièce de théâtre « N’écoutez pas Mesdames ». Léon Gard céda également ce second portrait à Sacha Guitry, qui le conserva dans sa collection personnelle jusqu’à sa mort.
La règle d'or est un leurre si l'on croit qu'elle donne la clef de la peinture : le talent n'existerait pas s'il suffisait de connaître la formule pour faire un beau tableau. La règle d'or n'est qu'un moyen pratique qui consiste à prendre les mesures d'oeuvres réussies d'abord par instinct sans pouvoir en faire de semblables sans tâtonnements. La règle d'or n'est pas "une" : elle varie avec chaque artiste, car chaque artiste ayant des dons différents se sert de moyens différents, mesure différemment les lignes, les taches de couleur, la distribution des blancs et noirs. La règle d'or ne peut être la même pour les primitifs que pour Rembrandt : les premiers composent avec des lignes et le second avec des grandes taches d'ombres et de lumières. Le calcul des noirs et des blancs est lui-même différent selon les artistes car ceux qui ont, comme Rembrandt, le génie des ombres lumineuses, peuvent se permettrent davantage d'ombres dans leurs tableaux que Caravage, par exemple, dont les ombres sont moins transparentes. Les parallèles et les perpendiculaires sont moins choquantes dans les tableaux peu ombrés que dans les tableaux de clair-obscur, etc.
Tout système dans l'exécution d'une oeuvre d'art et la convention sont néfastes par les fausses certitudes qu'ils donnent. Si l'on veut secouer les abus, guérir la lèpre des habitudes vicieuses qu'on voit proliférer depuis plus de cinquante ans et repartir à zéro pour tâcher de juger sainement, il faut précisément abandonner tout système et revenir à l'instinct.
La qualité d'exécution d'un tableau, quelque soit le sujet, est tout. Un tableau bien peint d'instinct est plus beau qu'un tableau mal peint avec une soit disant règle, et une tête de vieillard par Rembrandt est plus belle que le portrait d'une jolie jeune femme par Carolus-Duran.
En peinture, la reproduction littérale de la construction des choses, pour peu qu'on ait un oeil simplement normal et une main adroite, est relativement facile, et peut s'apprendre. Par contre, la reproduction exacte d'un ton, d'une valeur, d'un modelé est un don qui fait l'artiste et ne peut s'apprendre : les reproductions de la construction abondent et s'obtiennent d'ailleurs par des machines infaillibles tandis que, seul, l'artiste peut reproduire les nuances avec quelque exactitude.
De là la confusion entre les oeuvres de peinture dites bien dessinées parce qu'elles reproduisent correctement la construction des choses et les véritables oeuvres d'art qui reproduisent fidèlement les nuances.
Si la machine reproduisait fidèlement les nuances des oeuvres d'art, il n'y aurait pas de raison pour payer plus cher les originaux.
Nota: tous les textes en italiques et couleur sanguine de cette page sont de Léon Gard.